La vision des centres de formation En tant qu’homme, il n’est pas toujours évident de trouver un établissement pour se faire former. Par crainte, certains hommes n’osent tout simplement pas postuler à une formation d’esthétique ou de massage. Pourtant, les centres de formations évoluent et tentent de pousser à l’inclusivité… UNE ÉVOLUTION SOCIÉTALE Les choses ont changé petit à petit… Cela fait près de 40 ans qu’Anne Robert-Bonnay, responsable de la formation esthétique à l’IFPM de Nanterre, travaille dans le milieu de la beauté et du bien-être. Elle connaît bien les évolutions qui rythment ce secteur. En début de carrière, elle a repris un institut de beauté tenu par un homme. Il avait été formé par les sœurs Carita, précurseurs de soins esthétiques. « Cet homme avait une clientèle très traditionnelle, bourgeoise, de tous les âges. » À l’époque, la clientèle n’avait aucune réticence à confier son visage et son corps à un esthéticien. Puis, Anne Robert-Bonnay a vu la mentalité et les attentes de la clientèle évoluer. « Au fur et à mesure, j’ai vu les choses progresser mais pas dans le bon sens. Le métier s’est fermé petit à petit, pour n’être quasiment réservé qu’aux femmes. » Les instituts de beauté étaient attenants à des parfumeries qui se sont peu à peu clairsemées, mis en concurrence par l’implantation des parfumeries de Bernard Marionnaud, puis toutes les autres franchises. « Les esthéticien.nes et les marques de soins ont dû innover, proposer plus de prestations et élargir leur proposition. La généralisation des soins corps en instituts de beauté et des épilations moins classiques a fait exploser le secteur. » Selon Anne Robert-Bonnay, c’est à ce moment-là que le secteur s’est fermé aux hommes, appuyé par l’arrivée des soins corps. Les clients apprécient les hommes Il y a 20 ans, Sandra Marin, fondatrice du centre de formation Temana à Colomiers, avait ouvert le Spa Haryana avec son mari. Elle pensait qu’aucun client ne voudrait se faire masser par un homme. « Nous avons été positivement surpris. Beaucoup de clients qui passent par une main masculine, ont tendance à vouloir y rester. Les clients sont étonnés car l’approche est différente de celle d’une femme. Les femmes commencent à bien intégrer les hommes dans les spas. Elles sont aujourd’hui bien plus habituées au toucher homme. C’est plus compliqué pour les hommes. » Ces différents points de vue mettent en exergue que les choses ont évolué au fil des époques et qu’aujourd’hui, cela est encore en passe de changer. Les mutations du secteur du bien-être se font au gré de l’évolution de la société. L’esthétique et le spa aujourd’hui Depuis l’arrivée d’Anne Robert-Bonnay à l’IFPM, en 20 ans, elle a eu peu d’hommes, un ou deux chaque année, sur des formations de CAP sur un an mais aussi BP et BTS. « L’IFPM est un CFA où nous formons en alternance des garçons qui n’ont pas de mal à trouver une entreprise. Passées les réactions d’étonnement, les responsables d’instituts sont ravis.es d’accueillir les hommes au sein de leurs équipes. Cette année, nous formons deux garçons et je tiens à les intégrer complètement à la profession. » Émilie Ricci, responsable pédagogique et formatrice au sein du centre de formation Etic Massage à Montpellier depuis 8 ans, nous confie également ne former presque uniquement que des femmes. Pour Sandra Marin et Thomas Lagrève, responsable pédagogique chez Temana, les choses sont quelque peu différentes. Leurs demandes en formation ont évolué vers une mixité presque parfaite. « Au départ, à l’ouverture du centre, les demandes femmes et hommes étaient bien différentes. Nous avions environ 70 % de femmes pour 30 % d’hommes. Depuis maintenant 8 années environ, nous arrivons à avoir un équilibre parfait. » Ils ajoutent tous deux que la demande des hommes a toujours été existante, mais que leur crainte d’arriver sur un marché du travail très féminin les effraie. Aussi, Sandra Marin explique que « Dans l’univers du maquillage, les hommes sont très bien intégrés. Il est anormal qu’aujourd’hui cela ne soit pas le cas pour l’univers de l’esthétique. Les hommes ont leur place tout autant que les femmes. Finalement, beaucoup d’hommes n’intègrent pas le milieu tout simplement par honte. L’esthétique est très en retard par rapport au spa. On le voit en institut, les clients hommes n’osent pas pousser la porte de l’institut car trop féminin et pas assez inclusif ». Anne Robert-Bonnay déplore le fait qu’il n’y ait pas assez d’hommes dans ces professions. « On demande que les femmes puissent accéder à des métiers dits « masculins », en revanche, on n’accepterait pas que les hommes travaillent dans des métiers dits « féminins » ? Cela n’est pas normal. Les relations sont devenues très sexualisées, ce qui n’existe pas dans d’autres secteurs comme le médical. » Beaucoup d’hommes n’intègrent pas le milieu par honte LA CRAINTE DE LA CLIENTÈLE « Les clients des établissements de luxe sont habitués aux massages. Ce n’est donc pas une clientèle à convaincre. Ce sont les néophytes qui sont difficiles à éduquer. Aujourd’hui, les choses ont quand même évolué. Beaucoup d’hommes après le Covid, des aides-soignants, se sont reconvertis dans l’univers du spa » explique Émilie Ricci. Par ailleurs, elle nous dit que l’acte du massage par un homme est très souvent faussement interprété par notre inconscient et que cela peut causer certaines réticences. « Je pense que cela vient de l’acte « nourrice » qu’a le massage. Le fait de se faire toucher la première fois par un homme peut en déranger certains. Le massage, dans les esprits, est quelque chose de très inspectif et maternel. C’est la mère qui cajole son bébé grâce au toucher et je pense que l’on assimile inconsciemment ces gestes au massage, ce qui fait que l’on est réfractaire puisque c’est une personne dont nous ne sommes pas proches qui nous touche, et en plus un homme. C’est un réel travail à faire sur la clientèle réfractaire et ce n’est pas facile. » INCITER LES HOMMES À VENIR DANS LE SECTEUR Le problème aujourd’hui est de faire venir les hommes dans le secteur de la beauté et du bien-être. Communiquer sur l’inclusivité Anne Robert-Bonnay explique que c’est aux médias de communiquer autour de cela et aux écoles. Elle-même intègre une écriture inclusive dans ses programmes de formation. « C’est un début et c’est ainsi que petit à petit les choses pourront évoluer. Beaucoup d’hommes souhaitent se former en esthétique, mais n’osent pas. Aussi, pour réussir à les faire venir, il faudra que la société évolue, un travail de longue haleine. C’est une évolution globale. » Pour Anne Robert-Bonnay, il faut parler d’esthéticien et d’esthéticienne, tout comme que de boulanger et de boulangère. « Il faut masculiniser ces métiers. » La communication devrait également permettre de faire évoluer la mentalité des clients qui éprouvent aussi une réticence envers les hommes du milieu de l’esthétique. Sandra Marin corrobore les propos d’Anne Robert-Bonnay en expliquant qu’une communication mixte doit être mise en place par les établissements de formation. « Nous comptons mettre en place une communication mixte. On se rend compte que nos visuels esthétiques ne mettent en avant que des femmes. Ceci n’est pas le cas sur nos communications autour du spa. Je pense que beaucoup d’établissements sont dans le même cas que nous. La communication passe certes par les visuels mais elle passe également par le discours que l’on va avoir tout autour, notamment en ce qui concerne la définition du poste de travail. » C’est aussi le rôle des marques Sandra Marin pense que les marques ont aussi une part de responsabilité. « Les marques ont aussi un rôle à jouer en intégrant davantage les hommes dans leur communication. Il y a d’ailleurs un paradoxe car nous retrouvons beaucoup d’hommes en tant que commerciaux pour les marques. Les mentalités doivent bouger d’une façon générale. » L’APPROCHE PÉDAGOGIQUE Au centre de formation Temana, en esthétique, la classe est 100 % féminine. « Nous aimerions que cela devienne mixte pour la rentrée prochaine » explique Sandra Marin. Dans le massage, les classes sont mixtes. Néanmoins, le jour de la rentrée peut parfois être délicat quand un homme intègre une classe composée que de femmes. « C’est un métier où l’on est en relation avec le corps de l’autre. Quand les binômes se forment au début, ils ne sont pas mixtes. C’est alors le rôle de l’équipe pédagogique de briser la glace et d’inciter les élèves à se mettre en binôme avec le sexe opposé. L’humour a sa place pour aborder la timidité, la nudité et la juste distance. » Le discours doit donc être pédagogique et préventif. « C’est également en cours que nous apprenons aux hommes et aux femmes à aborder la clientèle. En étant passés par là, nous sommes les mieux placés pour les aider à ce niveau et les rassurer. Aussi, nous sommes très vigilants sur la composition de notre équipe pédagogique qui doit être mixte, c’est le bon exemple à donner. La mixité est là du début à la fin. Et puis les hommes aident à apaiser les conflits ! » conclut-elle. Les centres de formation ont donc un vrai rôle à jouer dans leur approche et leur pédagogie auprès des élèves.