Par Florence KOWALSKI, Spaboosting, Yog’nVibes. Aujourd’hui, les spa praticiennes compétentes et motivées sont devenues une denrée tellement rare qu’il est urgent de renforcer l’attractivité du métier. 1er septembre 2028 : j’ai rendez-vous pour un massage relaxant au spa qui vient d’ouvrir à côté de chez moi. Je m’imagine déjà allongée sur la table de soins, à ressentir les avant-bras et les mains de ma praticienne sur moi le temps d’un soin. Je suis accueillie par une réceptionniste qui m’installe en cabine et m’annonce que ma praticienne… est en fait un robot qu’elle va programmer et qui va reproduire à la manœuvre près le massage relaxant que m’aurait proposé une praticienne… Fiction ? Aujourd’hui oui, mais les spa praticiennes compétentes et motivées sont devenues une denrée tellement rare qu’il est urgent d’inverser la tendance et de renforcer l’attractivité de ce métier pour ne pas en arriver là. Comment en est-on arrivé là ? Et comment y remédier ? Décryptage. UN CONSTAT ALARMANT : DES POSTES EN PERMANENCE NON POURVUS «Recherche spa praticien (ne) pour une saison d’été, 42h, poste nourri, blanchi, logé sur place, 2000 € bruts par mois. Cette annonce proposée par un établissement hôtelier haut de gamme est restée en ligne 8 semaines, 4 semaines avant l’ouverture, 4 semaines post ouverture. Résultat : une candidature non pertinente (personne non formée au massage mais souhaitant faire une saison sur place) et une vague demande d’information via Messenger suivie d’une réponse immédiate de l’employeur, suivie de cinq longues journées sans réponse de la pseudo-postulante, finalement suivies d’un laconique message annonçant que «Finalement (elle) ne donnait pas suite…. Vous vous direz peut-être que ça sent le vécu ? Oui, vous avez raison, je l’ai personnellement expérimenté cet été dans le cadre d’une mission réalisée pour un établissement pourtant exceptionnel par son cadre et sa situation… Recherche spa praticienne désespérément… Une de mes collègues spa manager sur Aix-les-Bains postait même, début de saison sur LinkedIn, un plaidoyer pour notre profession en expliquant qu’elle ne pouvait même pas appeler sa recherche de praticien (ne) s un recrutement. En effet, elle n’avait pas le loisir de choisir qui que ce soit puisqu’elle n’avait tout simplement aucune candidature en dépit de conditions objectivement intéressantes (elle offrait même un 13ème mois en plus d’un logement seule…). Tous les spas sont concernés Vous me direz peut-être que cela ne concerne que des spas saisonniers ? Et pourtant, une ancienne cliente, spa directrice d’un des plus beaux spas urbains de Haute-Savoie, m’expliquait qu’en dépit de propositions de postes en CDI, avec des journées limitées à quatre heures de massages par jour, une pause obligatoire tous les deux massages, des repas appréciés par tout le personnel, elle n’arrivait pas à recruter et stabiliser ses équipes… Or, nous le savons tous, des équipes stables, c’est l’assurance d’optimiser son chiffre d’affaires et d’assurer une continuité dans la qualité des soins et l’expérience client. Même les plus réputés… Vous avez encore des doutes ? Connectez-vous sur les sites d’offres d’emplois spécialisés et vous constaterez les offres restant à pourvoir de longues semaines et sans cesse prolongées, même dans des établissements de renom où les spa praticiennes se pressaient encore il y a peu pour acquérir une expérience dans un établissement prestigieux… Postes non pourvus des saisons entières, turn-over élevé sur des postes en CDI, arrêts de travail… Concrètement, comment expliquer cette situation qui ne fait qu’empirer et surtout, que nous soyons spa managers, directeurs/directrices d’hôtels, responsables de centre de bien-être, quelles sont les clés pour enrayer cette tendance ? CLÉ N°1 – PRENDRE CONSCIENCE DE LA PÉNIBILITÉ DU MÉTIER DE SPA PRATICIENNE Non, le métier de praticienne spa n’est pas un métier comme les autres ! Les managers issues de la cabine comme nous désignons traditionnellement la pratique des soins ou celles qui en viennent, et qui y retournent régulièrement pour pallier les défections du jour et le manque de ressources quasi-permanent dans certains établissements, le savent bien ! Au sein du référentiel des métiers de l’hôtellerie, la pénibilité de celui de spa praticienne ne cesse d’augmenter. Non, le métier de spa praticienne n’est pas un métier comme les autres Pourquoi est-ce un métier pénible ? Seule et concentrée D’abord parce que quand on masse, on est seule, dans le noir, souvent dans la chaleur, à répéter régulièrement les mêmes gestes, à devoir être présente par l’intention pour son client (difficile de s’évader), à «surveiller même mentalement l’heure pour respecter la durée du soin…. La pause toilette Quand les soins s’enchaînent, la pause toilette est possible à condition que les wc ne soient pas trop éloignés du spa (ce qui peut arriver quand les toilettes des clients sont interdites aux collaborateurs…) et, idéalement, que vous soyez en duo pour que votre collègue puisse refaire votre lit de soin pendant que vous vous absentez en courant. Boire un verre d’eau Boire régulièrement est quasiment la seule action que l’on peut s’autoriser parce que nous savons toutes qu’on peut très vite se blesser si on ne compense pas assez les pertes hydriques liées à la température et à l’activité de massage elle-même qui, on le sait, peut être très intense. Bienveillance et exigence des clients Il semblerait même que les clients en soient de plus en plus conscients puisque eux-mêmes posent de plus en plus la question : «Mais comment faites-vous pour enchaîner les soins ?. Une considération louable mais qui reste une piètre consolation car, logiquement, ils attendent quand même de la spa praticienne un massage de qualité, au rythme souhaité, à la pression souhaitée… La pause cigarette Comparée aux autres professions, la pause cigarette est rarement possible en raison de l’enchaînement des soins et du fait qu’on ne doit pas voir une praticienne une cigarette à la main pour des raisons d’hygiène (ce qui est logique en soi, même si pour certaines professions comme les équipes de cuisine, c’est a priori moins choquant…). Les échanges avec les collègues Quant aux échanges avec les collègues, qui contribuent pour beaucoup à la bonne humeur et à la motivation des équipes de réception, de cuisine ou du service entre deux rushs, ils sont également difficilement envisageables au spa en raison même de la dimension très solitaire de l’activité soin en elle-même. Une pénibilité à prendre en compte Loin de moi l’idée selon laquelle les autres métiers de l’hôtellerie sont une partie de plaisir comparés au spa. Je connais trop ce milieu pour oser penser une telle chose. Mais objectivement, entre l’exigence physique et musculaire de ce métier, le rythme imposé par l’activité et l’engagement mental que demande chaque soin pour être présente pour son client, force est de constater que le métier de spa praticienne est un métier Pénible avec un «P majuscule, et que cette pénibilité doit être prise en compte dans les conditions de travail proposées par les employeurs. CLÉ N°2 – LES CONDITIONS DE TRAVAIL : LE SALAIRE OUI, MAIS PAS QUE… 1 950 euros bruts pour une spa manager Les recherches que j’ai menées pour préparer cet article m’ont permis d’identifier que certaines spa managers travaillent encore en contrat saisonnier pour des durées de 42 heures pour un salaire de 1 950 euros mensuels bruts… Certes le logement est pris en charge mais cette spa manager alterne soins, manage trois personnes, suit les chiffres, suit la satisfaction client… Et les autres, ils gagnent combien ? Je serais curieuse de connaître, dans ce même établissement, le salaire du/de la chef de réception ou du/de la gouvernant(e)… Parce que c’est bien à ce niveau que doit se faire la comparaison puisque le spa, à l’égal du ménage ou de la réception, est désormais clé dans l’expérience client. Malheureusement, cela n’a pas toujours été le cas car il a longtemps été perçu comme un service à part, auquel on ne demandait pas de gagner de l’argent, juste d’être là, en argument de vente pour donner envie au client de choisir son établissement plutôt qu’un autre. Aujourd’hui, les attentes vis-à-vis de ce service tendent à changer mais pas forcément les conditions de mise en œuvre desdites attentes. Une revalorisation des salaires indispensables Soyons très lucides : la revalorisation des salaires sera indispensable si nous souhaitons inverser cette spirale vicieuse, notamment au travers de dispositions innovantes telles que, par exemple, un pourcentage sur le chiffre d’affaires global du spa (et pas uniquement sur des ventes produits pour lesquelles, nous le savons tous et toutes, le spa représente un canal de vente minime par rapport aux parapharmacies ou aux enseignes de vente de cosmétiques spécialisées…). La problématique du logement Mais au-delà du salaire, sur les postes les plus difficile à pourvoir comme les postes saisonniers où le logement est une problématique forte (sans logement, les saisonniers ne peuvent pas venir travailler et le loyer mensuel est tellement élevé (en moyenne de 800 à 1000 euros par mois en station de ski pour un studio de 18/20 m²) qu’ils ne peuvent pas envisager de le prendre en charge eux-mêmes), la mise à disposition de logements propres, décents, respectueux de l’intimité est indispensable. La question du logement est un point clé pour les saisonniers Sur des missions de recrutement pour des postes saisonniers, je demande toujours à mes clients de me préciser en amont les conditions de logement. La question les surprend souvent mais je leur explique que désormais, au-delà du salaire, c’est un point clé pour les spa praticiennes qui soit ont envie d’un espace individuel (même très petit), soit un espace partagé pour la cuisine et la salle de bains mais une chambre seule. Un trop grand nombre d’entre elles se sont retrouvées à passer une saison sur des lits superposés sans aucune intimité et ne souhaitent plus vivre ça. Ce qui est acceptable en vacances entre amis ne l’est plus dans le cadre d’une saison… Encore plus pour les équipes du spa qui ont besoin d’un repos réparateur, compte tenu de l’exigence physique de leur activité quotidienne. Quand je leur remonte ce point, certains employeurs me disent que le logement est un coût énorme, qu’ils trouvent peu de logements, qu’ils font au mieux… J’entends tout cela mais, en face, la demande des spa praticiennes est de plus en plus forte et les meilleurs éléments iront là où on leur donnera satisfaction sur ce point clé. CLÉ N°3 – DONNER DU SENS POUR RÉENCHANTER LA PROFESSION ! Prendre en compte la pénibilité du métier et en revaloriser les conditions salariales, financières et matérielles sont les premières étapes indispensables, mais l’évolution du monde du travail et la quête de sens qui caractérise de plus en plus les salariés, quel que soit le secteur d’activité, est un phénomène désormais largement reconnu par les psychologues du travail et les chercheurs en science du management. Même les plus belles marques ou les entreprises disposant des meilleurs comités d’entreprise ne suffisent pas à provoquer l’embauche. Apporter des réponses à leur quête de sens Les collaborateurs ont aujourd’hui besoin de beaucoup plus. Ils ont besoin de comprendre en quoi ce qu’ils font va s’inscrire dans un projet global d’entreprise, en quoi cela va servir aux Autres… Ce sont toutes ces questions et la nature des réponses que l’entreprise y apportera qui, au-delà des conditions matérielles précitées, feront que le collaborateur a envie de se lever le matin pour accomplir sa tâche et se couchera satisfait de ce qu’il aura fait. Et non, ce n’est pas vivre naïvement dans un «monde de bisounours que de penser ça car cette recherche de sens est une réalité qui se traduit concrètement par toutes les actions liées à «la marque employeur dans lesquelles les entreprises investissent massivement tous secteurs confondus. Pour les personnes ayant choisi de travailler dans l’univers du bien-être, faire des choses qui ont du sens, c’est chaque jour pouvoir proposer des soins qui permettent aux autres d’aller mieux, de se sentir mieux. Dans cette recherche de sens, travailler pour un employeur qui ne reconnaît pas la pénibilité de leur tâche et ne se préoccupe pas du bien-être physique et mental de ses équipes (soins enchaînés sans fin, jours de repos supprimés pour coller à la demande client, pauses déjeuners décalées à 16h00 pour céder à un caprice client (en règle général, le client étant en vacances, il s’adapte sans souci au planning et ne demande pas de traitement de faveur…) est encore moins acceptable que pour n’importe quel autre métier. Et pas certain que les meilleures conditions matérielles possible suffisent à faire oublier cela (ou alors si, vous aurez des équipes qui priorisent le financier souvent au détriment du client final…). Un argument pour recruter la perle ! Prendre le temps de donner du sens à la tâche aux équipes du spa (souvent oubliées en termes de management) est assurément un élément clé pour créer ou re-créer cet enchantement pour la fonction de spa praticienne et essayer d’aller chercher des collaboratrices motivées et de qualité. Compte tenu de ces constats, il est important que nous ne nous trompions pas de débat : aujourd’hui, le Graal est le client et notre objectif est d’aller en chercher un maximum, de les faire consommer le plus possible pour générer le chiffre d’affaires le plus élevé qui soit. Mais si la situation n’évolue pas, il se peut fort que l’enjeu de demain ne soit pas le client mais le collaborateur (et pas uniquement au spa), sous peine de devoir refuser à ce client si chèrement gagné une prestation qu’on ne peut pas lui délivrer par manque de ressource. On constate déjà qu’il y a des restaurants qui réduisent leurs horaires d’ouverture et leur nombre de services (et par conséquent leur perspective de chiffre d’affaires) par manque de personnel. Il y a fort à parier que cette situation risque de grossir et de contaminer l’univers du spa si nous ne changeons rien à la situation actuelle. Il se peut que l’enjeu de demain ne soit pas le client mais le collaborateur