Prévenir les comportements déplacés et lutter contre Par Doriane FRÈRE. Les débordements sont nombreux, prennent différentes formes, et les thérapeutes se retrouvent terriblement seuls face à ces situations. Il existe des solutions et même une formation. EN AMONT DU RENDEZ-VOUS Selon l’esthéticien, Xavier de La Garanderie, il y a des signes d’alerte détectables dès la prise de rendez-vous : « En général, le client ne va pas avoir envie de dépenser 80 euros pour se faire masser s’il n’obtient pas ce qu’il est venu chercher. Donc, lors de la prise de rendez-vous, on sait que les clients font des demandes assez directes, ce qui les rend plus faciles à éconduire. Il faut également se méfier des habitués. Certains de mes clients étant déjà venus à plusieurs reprises ont tenté des choses une fois la confiance installée. Enfin, je ne pense pas qu’accepter uniquement les maris des clientes soit une garantie de bon comportement… En plus, le jour où vous avez un problème avec le mari de la cliente, vous avez aussi un problème avec la cliente ». Sébastien Bal détaille ce qui, à son sens, permettrait d’éviter de l’insécurité en cabine : « Il s’agit de ne pas placer une praticienne jeune et/ou peu expérimentée avec un client qui, de prime abord, est un peu étrange. On préférera placer une praticienne plus expérimentée. Il y a beaucoup de bienveillance au sein des équipes pour échanger en cas de besoin si une praticienne n’est pas à l’aise avec un client. Il ne faut jamais la laisser fermer seule le spa. En effet, cela peut laisser place à des pensées de la part du client qui voit que la praticienne est seule et qu’il va peut-être pouvoir en profiter… ». EN CABINE Xavier et Sébastien expliquent tous deux que certains éléments peuvent être mis en place afin de prévenir en amont les comportements déplacés en cabine. « Il y a de nombreuses astuces que j’explique aux personnes que je forme afin d’éviter des comportements déplacés. Cela passe par exemple par la façon de masser les mains des clients. Il faut faire en sorte de ne pas placer ses propres mains de façon à ce que le client puisse nous retenir » détaille Sébastien. Tout comme son confrère, Xavier a développé des techniques, notamment lors de massages spécifiques afin de ne pas laisser place à des débordements de la part des clients : « C’est plus souvent lors de massages de la main que le client va avoir le réflexe de serrer la main. J’ai développé mes techniques afin de pouvoir masser la main sans avoir à toucher la paume de la main. Il faut masser de façon à ce que le client ne puisse pas fermer sa main sur la nôtre. C’est en échangeant avec des collègues que j’ai développé cela ». Camille Trigoust est spa manager au sein du spa du Grand Hôtel des Bains****. Afin de palier l’insécurité en cabine à laquelle son équipe de praticiennes peut être confrontée, elle a instauré plusieurs règles : « Mettre systématiquement un oshibori sur les yeux pour éviter au maximum les regards insistants et gênants lors des massages. J’invite également mon équipe à obliger le sous-vêtement jetable lorsque les messieurs sont insistants pour être nus en massage et s’ils le refusent, de préciser que le massage ne peut se faire sans sous-vêtements. En cas de gestes déplacés, mon équipe doit demander au client d’arrêter au risque de mettre fin au soin. Si le client continue, la thérapeute sait qu’elle peut venir me voir pour arrêter le soin et mettre le client à la porte. Je suis assez ferme sur ce sujet et ne tolère pas les débordements de ce genre ». L’IMPORTANCE DU VOCABULAIRE Xavier souligne l’importance du vocabulaire employé en cabine. « J’étais un jour en prestation d’épilation d’un maillot masculin. À un moment, j’ai demandé à mon client de tenir son pénis d’une certaine manière afin d’effectuer ma prestation correctement. Et mon client m’a répondu : « Ce n’est pas la première fois que je me fais épiler mais c’est bien la première fois que l’on définit mon sexe comme il devrait l’être, par son nom ». J’étais un peu perplexe, je ne voyais pas de quoi il voulait parler. Je lui ai donc demandé des précisions par rapport à ce qu’il venait de me dire. Et il m’a répondu : « D’habitude, on me demande de LA tenir ». Et je me suis moi-même rappelé qu’en tant que client, une esthéticienne m’avait dit la même chose en cabine. Mais le « la » ne définit probablement pas la verge ici mais un terme plus vulgaire… Et en adoptant ce type de vocabulaire, on dit à son client qu’on ne voit pas son pénis mais autre chose… Et là, si le client est honnête, il est mis mal à l’aise et, s’il ne l’est pas, il va s’engouffrer dans la porte que l’on vient d’ouvrir. Il y a inconsciemment une connotation sexuelle. Si on parle à son client de son pénis, qui est un organe, ce n’est pas quelque chose d’érotique, il n’y a pas de place aux débordements ». LA NÉCESSITÉ D’ÊTRE À L’AISE AVEC LA NUDITÉ La relation que l’on a avec le corps est une notion qui n’est pas abordée en école d’esthétique, ce qui pose un problème quant à la nudité, presque omniprésente dans les métiers du bien-être. Et selon Xavier : « Dans notre société, nous érotisons beaucoup la relation que l’on a avec les autres. Le corps des femmes est particulièrement érotisé, ce qui conduit à des comportements comme le harcèlement de rue… La nudité nous gêne et, pourtant, dans nos métiers, nos clients ne sont pas très habillés. Nous devons donc être à l’aise avec la nudité et employer le même vocabulaire que les médecins. La nudité n’est en soi pas quelque chose d’érotique. À mon sens, la meilleure façon d’apprécier un massage est d’être nu. Mais finalement, beaucoup de clients préfèrent mettre un sous-vêtement. Beaucoup de mes confrères et consœurs refusent de masser les fesses. Mais si on refuse de masser les fesses, c’est que l’on donne un sens érotique à celles-ci, alors que ce sont des muscles avant tout. Il en est de même pour la poitrine chez les femmes. On est dans une société où les personnes sont de plus en plus pudiques. Par exemple, il y a encore dix ans, les fillettes portaient un slip de bain à la piscine ou à la plage. Aujourd’hui, elles portent des maillots de bain une pièce ou deux pièces qui cachent leur poitrine. De ce fait, certaines sont gênées de se mettre torse nu. Par ailleurs, lors de la période de la Libération Sexuelle, le message des femmes était : « Je veux pouvoir me mettre seins nus sans que cela ne soit érotique ». Le message était le même pour les femmes qui pratiquaient le monokini. Il est donc nécessaire d’aborder la relation que l’on a avec notre propre corps et celle que l’on a avec le corps d’autrui. Il n’est pas du tout naturel de toucher le corps de quelqu’un sans y mettre de l’affection, alors que c’est ce que nous faisons tous les jours dans nos métiers. Ce n’est pas du tout intuitif ». RÉAGIR FACE À UNE AGRESSION PHYSIQUE Pour pouvoir réagir face à une agression physique, il faut y avoir réfléchi en amont et avoir fixé ses limites d’après Xavier : « Lorsqu’elles sont franchies, il faut sortir de cabine. Il faut réussir à prendre du recul sur les choses et que cela ne nous empêche pas de dormir. Un client m’a déjà touché les fesses. Je lui ai simplement rappelé le but du massage, à savoir, la détente, et que je n’étais pas là pour effectuer une prestation sexuelle. En revanche, la réponse à une érotisation par le client ne doit en aucun cas dégrader la qualité d’un massage. Au contraire, j’essaye de donner le mieux que je peux – lorsque mes limites n’ont pas été franchies – pour faire comprendre au client qu’en restant sur un mode non-érotique et non sexuel, il a plus de satisfaction. En tout cas, il ne faut surtout pas faire un massage la boule au ventre ! Cela reste tout de même des comportements marginaux ». Il faut avoir le cran de dire « stop » et sortir de la cabine Sébastien, qui est amené à former de nouveaux collaborateurs au sein de la marque pour laquelle il travaille, détaille les conseils qu’il préconise de suivre en cas de mauvais comportement d’un client en cabine : « L’une des phases de la formation consiste en l’explication du comportement à adopter en cabine et comment réagir en fonction de ce qu’il peut se passer. Dès le départ, je leur explique que c’est à eux, praticiens, de guider la séance en cabine, qu’il s’agisse d’expliquer le déroulement du soin ou de réagir face à une situation ou des propos anormaux émanant du client. Ici, il s’agit de dire des phrases telles que : « Madame, je ne vous autorise pas à me toucher les fesses » ou « Monsieur, votre comportement est déplacé, je vais vous demander de vous rhabiller ». Et je sais que pour les praticiens, il est difficile de s’interposer de cette manière face aux clients. Il est donc nécessaire d’avoir une certaine assurance et une expertise dans sa pratique. Quoi qu’il en soit, chacun a ses limites, il ne faut pas hésiter à sortir de cabine si on se sent mal à l’aise » explique le praticien. LA NÉCESSITÉ DE CRÉER UNE FORMATION ADAPTÉE La boule au ventre en cabine face à un comportement déplacé d’un client, Clarisse Trouiller-Gerfaux la connaît. Riche de plus de 15 années d’expérience dans le milieu du spa en tant que praticienne, directrice spa et loisirs, ou la création et le lancement d’un spa, elle a créé en 2022 sa société de conseils et formations Boost your B. L’objectif étant d’accompagner les spas manager afin de développer leurs compétences, booster la rentabilité de leur spa, tout en impliquant les équipes. C’est avec la collaboration de David Chassagne, diplômé de sciences comportementales et de psychocriminologie, créateur du centre de formations D.F.C., qu’elle a créé en 2023 la formation Gestion de l’agressivité et des comportements déviants pour les centres de bien-être. UNE MAUVAISE EXPÉRIENCE… L’agression en cabine, Clarisse l’a vécue en tant que praticienne et spa manager. « À 25 ans, lorsque j’étais praticienne, alors que j’étais seule, en nocturne, dans un spa, j’étais avec un client pour un massage relaxant. Il m’a fait comprendre, qu’avec sa femme, ils étaient ouverts à toutes sortes d’opportunités. J’ai essayé de recadrer gentiment le client qui était un ami du directeur de l’hôtel. Il a continué ses avances, tout en me demandant de lui masser le bas du ventre, alors que j’étais déjà passée sur cette zone. Je lui ai dit devoir respecter le protocole. Il faisait en sorte de placer ses mains aux endroits où mon corps s’appuyait sur la table. Et puis, il a fini par me caresser la gorge avec sa main en me disant : « C’est tellement sexy cette partie chez toi ». Je me suis figée. J’ai eu très peur étant donné que j’étais seule dans le spa… Je lui ai demandé de ne pas me toucher, il a banalisé son geste en disant que ce n’était rien, j’ai fini rapidement le massage puis je suis sortie de cabine. Pour donner l’illusion que je n’étais pas seule dans le spa et le dissuader de tenter à nouveau quelque chose, j’ai allumé toutes les lumières et la musique des autres cabines. Il a mis du temps à sortir, m’a demandé de l’aider à se rhabiller. J’ai refusé car je savais qu’il n’avait pas de problèmes physiques pour se débrouiller seul. Il a traîné à partir. Une fois seule dans le spa, après son départ, je me suis effondrée en larmes. » Après cette mauvaise expérience, Clarisse a averti sa spa manager et le directeur, ami du client. Aucun des deux n’a vraiment pris au sérieux ma déclaration. Après cela, il m’a fallu plusieurs mois avant de pouvoir retourner en cabine avec un homme… » LA FORMATION GESTION DE L’AGRESSIVITÉ ET DES COMPORTEMENTS DÉVIANTS POUR LES CENTRES DE BIEN-ÊTRE La formation créée par Clarisse et David se déroule en présentiel, sur deux journées. Elle est agréée Qualiopi. Lors de la création de cette formation, il était important pour Clarisse que cela se fasse en présentiel pour adapter la formation au lieu. « Lorsque j’arrive dans le spa, je fais un tour de celui-ci afin de voir ce qu’il est possible de mettre en place en process sécurité. Par exemple, un bouton d’alarme dans la poche de la praticienne ou dans la cabine qui donne un signal visuel ou sonore à la réception. En effet, dans certains spas, les cabines sont à l’opposé de la réception, d’où l’importance de faire un état des lieux au départ. » Clarisse explique également ce qui peut être mis en place sans nécessairement être équipé d’un quelconque dispositif au spa : « En premier lieu, il est important d’avoir été formé à savoir détecter un client potentiellement dangereux. Ceci permet d’anticiper et de modifier la prise en charge… Il faut rester attentif, laisser la porte de la cabine légèrement ouverte, prévenir ses collègues pour qu’elles restent en alerte et passent devant la cabine régulièrement. Il est nécessaire de mettre en place un protocole de sécurité adapté au lieu pour différents types de situations. À la suite de la formation, nous assurons un suivi psychologique. Si la praticienne est traumatisée, c’est David qui prend en charge la personne. J’accompagne de mon côté la spa manager afin d’aider la praticienne à revenir graduellement au travail » détaille la spécialiste. Il est nécessaire de mettre en place un protocole de sécurité adapté au lieu LES OBJECTIFS DE LA FORMATION Au niveau des spas, il y a différents types d’agressions et d’agressivité, selon Clarisse. Identifier et gérer une agression « Une agression en cabine va principalement être portée sur une agression sexuelle ou la démarche d’avoir un acte sexuel en cabine. La limite est assez mince entre où s’arrête la drague et où commence l’agression. Le but est de pouvoir placer le curseur. En fonction des personnes, de leur passé, de leurs expériences personnelles, ce curseur ne va pas du tout être le même. La tolérance ne sera pas la même entre une jeune fille de 18 ans et une femme de 35 ans. Certains clients pensent que parce qu’ils payent un certain prix leur soin ils ont tous les droits mais cela n’est pas la majorité des cas. Souvent on dit que lorsqu’un client a un geste déplacé, il faut replacer sa main et lui dire que s’il recommence le soin prendra fin. Il y a différentes manières de le dire et de le faire. Mais le souci est le bénéfice du doute pour la première tentative puis d’avoir le cran de le remettre à sa place et sortir de cabine, ce qui n’est pas toujours le cas… » Il faut désacraliser le client VIP Identifier et gérer de l’agressivité L’agressivité quant à elle peut prendre plusieurs formes, comme l’explique Clarisse : « Cela peut être un client qui s’énerve à la réception du spa pour X raisons. Quand c’est notre premier jour de travail, on l’affronte différemment que lorsque c’est le cinquième jour et qu’on « s’en est pris plein la figure » toute la semaine. C’est ainsi, qu’à force d’escalade, on devient soi-même agressif, il y a des burn out. Le but de la formation est de comprendre d’où cela vient, pourquoi et comment désamorcer ». UNE FORMATION TRI-PARTIES La formation investit les trois acteurs principaux d’un spa, à savoir les praticiennes, les spa managers et les directeurs d’hôtel. La formation avec la praticienne « Sur la partie cabine, l’idée est donc de savoir replacer le curseur. Savoir ce qui est un abus verbal, ce qui est un abus physique, que ce soit la même limite pour tout le monde. Nous donnons des outils pour désamorcer ce genre de situation avec des mots, des phrases clés en français et en anglais. Quand l’agressivité devient plus physique, on forme pour apprendre des manœuvres d’évitement et savoir se mettre en sécurité avec des techniques de self-défense qui ont seulement pour but de se défendre. Crier pour prévenir peut être une solution si le client vous immobilise mais cela signifie que votre sécurité dépend uniquement de l’entente de votre alerte par vos collègues… Le but ici est d’éviter d’être coincé et de maîtriser la situation » détaille Clarisse. L’accompagnement de l’équipe Comme l’explique Clarisse, l’accompagnement des équipes est essentiel afin que les actions à mettre en place, dans le cas d’une agression en cabine, soient connues de tous et qu’il y ait une unité au sein de l’équipe : « Personnellement, lorsque j’ai été spa manager, je faisais avec ce que j’avais pour pallier cette insécurité en cabine. En 15 ans, je n’ai jamais vu d’accompagnement à ce sujet… ». L’accompagnement avec les spa managers et la direction de l’hôtel L’experte explique par ailleurs que le point faible des spas lors d’agression en cabine est la communication et les remontées effectuées aux directeurs des hôtels : « Parfois, on se rend compte qu’il y a une rupture au niveau de la communication sur cette thématique. Les praticiennes ont parfois l’impression que les informations ne sont pas remontées au niveau de la direction de l’hôtel, qu’il y a un manque certain de positionnement. J’ai donc mis un point d’honneur, dans cette formation, à ce que la spa manager soit présente une partie de la formation et que le directeur de l’hôtel fasse une apparition lors d’un moment clé. En effet, la direction doit être en accord avec les procédures mises en place. Effectivement, si on forme les praticiennes, qu’il y a une agression et que rien n’est fait derrière, la confiance n’est pas rétablie, la praticienne est dans son traumatisme. Le fait que le directeur prenne position physiquement lors de la formation, renforce la confiance ». Si après une agression, rien n’est fait derrière, il n’y a plus de confiance QUELQUES CONSEILS • Pour les spa praticiennes : « Fiez-vous à votre instinct si vous sentez que quelque chose n’est pas normal. À partir du moment où vous n’êtes pas à l’aise, c’est qu’il y a un problème, et si vous ne vous sentez pas capable de gérer, sortez de la cabine et allez voir la responsable. C’est votre droit et légalement personne ne peut vous forcer à y retourner contre votre gré. » conseille Clarisse. • Concernant les spas managers : « Organisez une réunion d’information pour expliquer ce qui est acceptable ou non – le curseur n’est pas le même pour tout le monde -, faites en sorte que les praticiennes aient assez confiance en vous pour sortir de cabine si elles se sentent mal à l’aise et qu’elles ne « craignent » pas votre réaction. Il est également nécessaire de désacraliser le client VIP et éviter de dire : « Lui, il faut le chouchouter, peu importe ce qu’il demande, on ne dit pas « non ». Cela peut paraître anodin mais selon la personne et le contexte, cela peut être pris au pied de la lettre. Le respect et la sécurité de vos praticiennes ne se négocient pas en fonction du prix de la chambre ou du statut du client » explique Clarisse.