Par Florence KOWALSKI, Social Media Manager et Ghostwriter spécialisée en hôtellerie et bien-être. On a coutume de dire qu’en matière de wellness, ce sont les États-Unis qui « tirent » le marché. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si le Global Wellness Summit, rendez-vous annuel des grandes tendances du bien-être, notamment hôtelier, est organisé par le Global Wellness Institut, 100 % nord-américain. Pour comprendre la force du spa en Amérique et identifier ce que nous pourrions intégrer sur le marché du spa hôtelier français, j’ai échangé avec Christelle Fourcade qui m’intéressait à triple titre : – elle est française, installée aux États-Unis depuis 25 ans ; – c’est un « pur produit » de l’hôtellerie (trop rare dans l’univers du spa pour ne pas le souligner car ça impacte vraiment sa vision des choses) ; elle parcourt les États-Unis d’ouest en est et d’est en ouest pour la marque Yon-Ka en tant que responsable commerciale et désormais en tant que Global Director of Business development Hospitality. Un échange passionnant dont j’ai conservé ses verbatims clés, retenu des tendances produits et soins et analysé quelle application on pouvait en faire en France, conseils pratiques à l’appui. Cet échange permet aussi de comprendre pourquoi le spa hôtelier est une « machine de guerre » aux États-Unis, alors qu’il peine autant à décoller en France… 1 – Des soins appareillés… et des marques qui s’adaptent « Aujourd’hui, tous les hôtels ont leur appareil « vedette ». Les plus répandus sont l’Hydrafacial et la machine à oxygénation faciale d’Intraceuticals. Et, à la différence de la France, où j’ai constaté que certains de ces soins étaient encore vendus seuls, aux États-Unis, toutes les marques de cosmétiques créent des protocoles intégrant la machine dont dispose l’hôtel. C’est parfois même une condition pour faire entrer une marque. » Comment l’adapter en France ? L’appareillage arrive de plus en plus en spa hôtelier. Cela permet de : – distinguer votre offre de la concurrence, – proposer des soins plus efficaces en termes de résultats. Par contre le choix de l’équipement est, dans la plupart des cas, encore assez aléatoire, motivé soit par un(e) commercial(e) sympathique et/ou convaincant(e) ou par l’appel de la nouveauté. Résultat : un appareil qui, dans le moins bon des cas, ne s’intègre pas dans votre offre et qui est, par conséquent, difficile à vendre en soin. Mes conseils – Choisissez votre équipement comme un élément à part entière de votre offre. – Challengez l’équipementier pour lui demander comment les soins assurés avec sa machine pourraient s’intégrer dans votre carte de soins. N’hésitez pas à demander à votre marque de cosmétiques un protocole de soin spécifique intégrant cet appareil. 2 – Multiplication des technologies 100 % mains libres « Attention, l’objectif n’est pas de remplacer les spa thérapeutes mais d’offrir une expérience de massage différente, complémentaire du massage manuel. La marque Aescape a notamment développé une table de massage robotisée, qui intègre les préférences des clients au fur et à mesure de leurs venues pour proposer des massages toujours mieux adaptés et en promettant la même efficacité en 30 minutes qu’un massage traditionnel de 60 minutes. Il faut savoir que les Américains aiment les modes et les tendances. Ils ne remplacent pas par de la nouveauté mais ils créent une expérience additionnelle. Ils ont besoin de sentir que l’offre se réinvente, que ça bouge, qu’on leur propose autre chose que ce qu’ils voient partout ailleurs… Et pour les spas hôteliers, ça leur permet de se renouveler, de rester avertis des tendances, de se challenger… C’est parce qu’ils se renouvellent sans cesse que les spas gardent leur « momentum » et continuent de rester attractifs pour leurs clients. » L’autre tendance dans le mains libres, c’est l’utilisation du froid avec la cryothérapie et le cold plunge, qui consiste à s’immerger complètement dans l’eau glacée pour bénéficier des effets du froid et des alternances entre le chaud et le froid. La tendance est déjà très présente en France, démocratisée par la méthode Wim Hof et de nombreux adeptes de l’univers du wellness à titre individuel, mais assez peu en collectif dans les spas. Comment l’adapter en France ? À ce jour, les technologies mains libre sont encore regardées avec de la méfiance en France par la clientèle spa traditionnelle. Cette dernière ne connaît que le massage manuel et pense encore, dans la plupart des cas, que si le massage n’est pas manuel, ce n’est pas un « vrai » massage. Choisissez votre technologie comme un élément à part entière de votre offre Les soins mains libres Concernant les tables de massages robotisées, il y en a peu à ce jour en France mais ces technologies se développent. Ce sont des prestations différentes mais ce ne sont pas de « mauvais » massages. Il ne s’agit pas d’opposer les soins manuels aux soins appareillés mais plutôt de définir comment associer les deux pour en faire bénéficier votre client, votre équipe et, au final, votre chiffre d’affaires. Dans un contexte où le massage reste majoritairement le soin le plus demandé au spa, où les recrutements de spa praticien(ne)s restent tendus avec en plus un turn-over élevé (puisque la demande du marché est forte), les soins mains libres sont un élément de l’offre à ne pas négliger. Il faut simplement les positionner à leur juste place dans votre carte de soins, à la fois en tarif et en niveau de gamme. Un massage manuel, à durée égale, sera plus cher qu’un massage réalisé en 100 % mains libres et dans votre gamme de soins massages, ça doit être un produit premium. Les technologies autour du froid Pour les technologies autour du froid, la cryothérapie reste encore assez réglementée en France. Certaines techniques restent un acte médical à pratiquer par un professionnel rattaché au corps médical. Mais la simple utilisation de bains glacés, elle, est accessible à tous et je confirme que l’immersion complète est très revigorante pour l’avoir testée ! Mon conseil – N’excluez pas d’office le 100 % mains libres de votre carte de soins car selon votre configuration (nombre de cabines, taille de l’équipe, localisation géographique isolée qui rend les recrutements de spa praticien(ne)s plus compliqués…) ça peut être un excellent complément à votre offre de massages traditionnels. – Avant d’investir dans un équipement, pensez : • à quel besoin client je réponds avec cet équipement ? Et est-ce que mes clients ont effectivement ce besoin ? • sur la base de plans de financement et des prix publics conseillés par les équipementiers, est-ce que cet investissement sera rentable et si oui, à partir de quand ? 3 – Le multi-marques est la règle « Avoir plusieurs marques de soins est la configuration la plus courante pour les spas aux États-Unis. L’objectif est de pouvoir répondre aux besoins de toutes leurs clientèles : certaines veulent de la naturalité, d’autre du biologique (organic), d’autres encore des soins exclusivement axés résultats (peeling chimique par exemple). La notion de contrat exclusif de marque que l’on trouve encore en France et qui prévoit que le spa ne peut prendre aucune autre marque en parallèle n’existe pas ici. En tant que marque, c’est challengeant parce qu’on peut être déréférencé à tout moment mais, à l’inverse, c’est aussi ce qui nous permet d’entrer plus facilement dans un spa car, ici, ils n’hésitent pas à sélectionner un soin puis, si ça plaît aux clients, à prendre le reste de la gamme. » Ce qui compte avant tout, c’est le résultat D’autre part, on pense souvent en France que les étrangers aiment les marques de soin françaises et que le seul fait qu’il soit marqué « Paris » sous la marque suffit pour vendre. « Aux États-Unis, les clients ne sont pas particulièrement sensibles aux marques nationales (comme les Français le sont avec les marques françaises) ou aux marques françaises. Oui, ils aiment l’idée que la marque vienne de France, mais ce qui leur importe plus que tout, c’est qu’elle soit efficace et qu’elle apporte du résultat : de l’anti-âge, de l’hydratation ou de l’éclat vraiment visibles. » Comment l’adapter en France ? Le mono-marque est profondément ancré en France car de nombreuses marques ont longtemps œuvré en ce sens, en interdisant strictement aux spas d’avoir une seconde marque. La difficulté du mono-marque tient également au fait que dans la plupart des cas, la marque de soins entre avec l’intégralité de sa gamme de produits et de soins ou n’entre pas. Cela signifie un stock complet à supporter financièrement. Et quand vient le moment de choisir une seconde marque, les spas ont tendance à réfléchir longuement avant d’agir… ou de renoncer. C’est dommage car en imposant de telles contraintes, les marques se coupent trop souvent de la possibilité d’entrer dans un spa avec un premier soin qui leur permettrait de faire leurs preuves auprès de la clientèle du spa. C’est la technique commerciale du « pied dans la porte » ou de la « petite offre » comme on l’appelle aujourd’hui dans l’univers des produits digitaux. Une opportunité gagnant-gagnant qui gagnerait à se démocratiser en France. Mes conseils En tant que spa, n’hésitez pas à proposer aux marques qui vous semblent répondre à un besoin de votre clientèle actuelle ou potentielle, une opération type pop-up store. La durée d’engagement pourra être de 3 à 6 mois pour vous permettre de faire un test grandeur nature et d’en tirer de vraies conclusions. Pour tester une nouvelle marque, mettez en place un pop-up store En tant que marque, vous savez que le marché change et que vous devez vous adapter. Plus vous serez exposé à un grand nombre de personnes, plus vous aurez de chances de les convertir en clients. Dans ces conditions, c’est peut-être le moment d’ajuster votre mode de commercialisation, non ? 4 – Le membership pour remplir les spas hôteliers en semaine « Aux États-Unis, le membership est très répandu. Moyennant une somme à l’année, les personnes ne résidant pas à l’hôtel peuvent venir profiter des installations du spa : sauna, hammam, piscine, salle de fitness, cours de gym et yoga… Leur adhésion annuelle inclut généralement un soin visage ou un massage d’une durée de 60 minutes par mois. Elles ont ensuite des remises sur les soins additionnels et les produits, souvent entre 10 et 15 %. Les memberships permettent de compenser des taux d’occupation hôteliers très variables qui ne permettent pas de remplir le spa en semaine. En effet, du lundi au vendredi, ils sont souvent occupés par des participants à des congrès qui ne passeront pas au spa. Il est donc essentiel pour eux d’aller chercher une clientèle à l’extérieur. Aux États-Unis, le membership est la clé de la rentabilité du spa À différence de la France, les hôtels américains ne cherchent pas systématiquement à capter en priorité la clientèle de l’hôtel quand ils savent qu’elle n’est pas pertinente. Ils préfèrent mettre des moyens en communication pour faire du membership un vrai produit à part entière parce que c’est la clé de leur rentabilité. C’est pour ça qu’ils essaient au maximum de faire de leur spa un lieu d’activités quotidiennes où on a envie de passer du temps et où, socialement, il est intéressant d’être vu… Comment l’adapter en France ? Le membership est certainement le produit spa le plus sous-estimé en France. D’ailleurs, on utilise le mot anglais parce que l’expression française équivalente (adhésion annuelle) est beaucoup moins glamour… Et pourtant, le membership c’est : – du chiffre d’affaires constaté d’avance (si c’est un paiement annuel anticipé) ou un revenu mensuel fixe. Dans les deux cas, c’est sécurisé, – un supplément de charges assez minime : les membres consomment du linge mais, pour le reste, ce sont essentiellement des charges fixes, – ça anime vos installations quand elles sont désertes (et comme pour les restaurants, « le monde appelle le monde »… ), c’est une clientèle qui communique pour vous puisqu’un membership a une vraie dimension sociale : on est fier d’être membre de tel ou tel club et on le dit autour de soi. Mais aujourd’hui, la culture du membership en France est assez peu associée au wellness (sauf pour les salles de sport). C’est un produit qui existe mais dont on ne pousse pas forcément la vente de peur qu’il y ait trop de monde dans les installations spa au détriment de l’expérience du client qui loge à l’hôtel. L’intention est louable mais ce n’est pas ce dernier qui fait votre rentabilité car il y a très peu de perspectives de chiffre d’affaires récurrent. Entre levier de communication et génération de chiffres d’affaires régulier, le membership peut devenir un pilier de la rentabilité de votre spa comme aux États-Unis. Il suffit juste de l’adapter au système français. Mes conseils – Arrêtez de penser exclusivement « palace » quand vous pensez membership (beaucoup trop de spa managers ont encore cette vision très exclusive). – Posez-vous sur vos chiffres de fréquentation spa et essayez d’estimer, sur une ou deux années passées, le nombre de personnes que vous auriez pu accepter en plus. Ce n’est pas parce que vous avez déjà certains créneaux très occupés que vous ne devez pas réfléchir à un membership. Vous pouvez tout à fait commencer avec 10 places ouvertes pour des durées de 3 mois, voir si ça fonctionne, puis allonger les durées, puis augmenter votre quota d’une ou deux personnes… Vous apprendrez en marchant ! La seule certitude absolue, c’est que si vous avez un General Manager qui vous parle de « customer experience first » pour la clientèle de l’hôtel et vous interdit ce genre d’initiative, il y a peu de chances que vous fassiez de votre spa un point de vente vraiment rentable. 5 – La rentabilité : un non-négociable pour les hôteliers américains « Aux États-Unis, un hôtel n’a pas un spa « parce qu’il faut un spa ». Il a un spa pour faire de l’argent. En France, on sent que le spa reste un élément secondaire. Quelque chose dont on a besoin pour faire venir les clients dans son établissement plutôt que chez le concurrent. Mais quand je discute avec des hôteliers français, j’ai trop souvent l’impression qu’ils n’attendent pas de revenu spécifique de leur spa. Aux États-Unis, le « driver » n’est pas le même et les moyens que mettent en place les General Managers, les Directeurs/Directrices Wellness des chaînes hôtelières et les Directeurs/Directrices Spa diffèrent de la France. Ici la rentabilité n’est pas une option, c’est la raison d’être du spa. D’ailleurs les Spa managers/Directors font partie du comité de direction et sont aussi impliqués que le F & B et l’hébergement. Ils font un gros travail de communication, analysent leurs actions et les ajustent très rapidement si besoin. Ils sont très agiles. » Aux États-Unis, un hôtel a un spa, pas parce qu’il le faut mais pour faire de l’argent avec Comment l’adapter en France ? Je pense que tous les professionnel(le)s du spa en France rêvent d’entendre un directeur d’hôtel dire que s’il a un spa c’est pour gagner de l’argent… Parce que ça veut dire qu’il est prêt à entendre les plans d’action, à mettre des moyens, à suivre une vraie stratégie… Or, c’est rarement le cas. Le spa reste trop souvent le service auquel on demande d’offrir des soins (donc perte nette de chiffre d’affaires) parce que le client a eu une mauvaise expérience en chambre ou au restaurant… C’est aussi l’endroit où on a tendance à investir le moins facilement (de nombreux hôteliers ne voient toujours pas l’intérêt de remplacer leurs tables de massages manuelles par des tables électriques…). Autre exemple : à chaque saison ou presque, la carte du restaurant est renouvelée mais celle du spa varie finalement assez peu (il y a une question de saisonnalité, mais cela n’explique pas tout). On a parfois l’impression qu’on demande au spa hôtelier de ne pas trop déranger et de « tourner » le mieux possible sans solliciter trop de ressources… Forcément, dans cette configuration, on est loin de la démarche volontariste et axée business des spas hôteliers américains. Et sans appui fort de sa hiérarchie, la plus motivée des spas managers françaises n’arrivera pas à transformer son spa en « machine de guerre » de rentabilité. Mon conseil Les General Managers sont encore trop peu formés à l’économie et aux enjeux du spa pendant leurs études. En tant que spa manager, vous avez donc un gros travail « d’évangélisation » sur ce sujet. Prenez-le temps de vous former à la lecture et l’analyse de vos KPI (indicateurs) tels que le chiffre d’affaires, les taux de captation hôtel/clientèle extérieure, les charges fixes, les charges variables… Montrez que vous maîtrisez ces éléments, benchmarkez d’autres établissements de même nature, identifiez les améliorations possibles et proposez des plans d’action pour y parvenir. Ce n’est qu’ainsi que vous parviendrez à faire émerger l’idée selon laquelle oui, on peut se donner un objectif de rentabilité pour le spa. A retenir Certaines tendances observées en spa hôtelier aux États-Unis semblent encore assez éloignées du marché français. C’est notamment le cas des infirmières présentes « à demeure » dans certains spas pour procéder aux injections de Botox et autres opérations esthétiques non invasives et ainsi éviter que les clientes aillent prendre soin d’elles ailleurs au risque de les voir changer de spa. Néanmoins, les cinq tendances issues du spa hôtelier américain analysées ci-dessus sont riches de promesses pour aider le spa hôtelier français à prendre sa place de troisième pilier de l’expérience client hôtelière, aux côtés de l’hébergement et du F & B (Food and Beverage, c’est-à-dire la restauration). Le chemin est encore long mais la promesse est belle et mérite que tous les acteurs, hôteliers, marques de soins et spa managers se relèvent les manches pour y arriver !