De challenge en challenge Par Doriane FRÈRE. Naomi Villas a géré un centre de massages pendant son apprentissage, ouvert un institut alors qu’elle était encore étudiante, travaillé dans un palace sans en avoir l’expérience. Elle est aujourd’hui spa manager dans un cinq-étoiles… A chaque fois, en fédérant son équipe, elle développe brillamment le chiffre d’affaires ! Avant l’esthétique, j’ai fait des études traditionnelles. J’ai d’abord obtenu un Baccalauréat Littéraire, puis j’ai poursuivi mes études en Licence de Langues et Littérature. PREMIÈRE EXPÉRIENCE : RESPONSABLE D’INSTITUT Naomi Villas La beauté, le soin de soi et la spiritualité ont toujours été pour moi un moyen de me relier à ma culture et à mes origines sénégalaises et haïtiennes. En parallèle de mes études à la faculté en 2012, j’avais un emploi étudiant d’assistante dans un centre de massage à Paris. J’étais en charge de l’accueil client, de la prise de rendez-vous et de la gestion administrative et des stocks. J’aimais beaucoup cet univers, je savais que c’était fait pour moi… J’ai toujours eu l’idée d’intégrer d’un point de vue professionnel ma passion pour le bien-être. Je n’étais pas diplômée en esthétique à l’époque mais la gérante connaissait ma passion pour le massage, si bien qu’elle a accepté de me former sur les différents protocoles. La même année, elle a dû s’absenter de son institut pour des raisons de santé et m’a confié les rênes de son établissement. Cette opportunité m’a permis de comprendre que j’étais à ma place. J’ai donc arrêté mes études pour me consacrer pleinement à ce nouveau travail. Cela a été un véritable défi étant donné mon jeune âge et ma faible expérience. À force de détermination et de travail, cette opportunité a été mon plus bel apprentissage. C’est aussi à ce moment que je me suis rendu compte que j’aimais accompagner les équipes et les pousser à donner le meilleur d’elles-mêmes. Après deux ans, quand la responsable est revenue, elle m’a proposé de rester dans l’entreprise mais j’ai j’avais envie de me former. LES ÉTUDES DANS L’ESTHÉTIQUE J’ai intégré un double cursus de CAP et BTS Esthétique Option Management dans une école d’esthétique à Paris. J’ai validé mon CAP la première année, puis j’ai continué mon BTS sur la deuxième année, en alternance au sein de l’Espace Peauzdétente à Paris. L’alternance Peauzdetente était, à l’époque, le premier centre de médecine alternative et de médecine douce à Paris. Je côtoyais des praticiens en reiki, des maîtres shiatsu ou encore des somatothérapeuthes qui m’ont fait découvrir leurs techniques et cela a été très enrichissant pour moi. J’ai eu la chance de rencontrer Dejean Garbos qui m’a formée à tous les massages mais aussi à la compréhension du toucher en tant que soin énergétique. Malheureusement, l’expérience Peauzdétente n’a pas été celle escomptée, l’établissement souffrait des décisions managériales de ses gérants. Je n’ai pas eu l’accompagnement dont j’avais besoin en tant qu’étudiante en alternance. J’ai donc quitté l’entreprise qui a d’ailleurs fermé définitivement ses portes quelques mois plus tard. LA CRÉATION D’UN INSTITUT EN PARALLÈLE DES ÉTUDES Étant déterminée, mon alternance se passant mal et mon objectif final étant d’obtenir mon BTS, j’ai décidé de créer mon propre institut, Karmachéri ! La mise en place du concept J’ai fait l’acquisition d’un local à Paris dans le 18ème arrondissement grâce à mes économies. L’emplacement de mon institut était idéal dans un quartier résidentiel et ma zone de chalandise bénéficiait d’une très faible concurrence. J’ai tout construit seule, des travaux d’aménagement à la carte des soins, en passant par la réalisation du prévisionnel et le calcul des P & L…. Je proposais exclusivement des massages, des soins énergétiques et, à partir de la troisième année, j’ai intégré les soins esthétiques. J’ai créé mes propres protocoles de massages, ainsi que mes mélanges d’huiles et mes macéras. Trouver les bons partenaires Lorsque l’on est entrepreneur indépendant, le quotidien est très solitaire. J’ai rapidement compris que pour y arriver, il fallait être accompagnée. Je me suis entourée de prestataires commerciaux capables d’être de vrais partenaires et d’accompagner le développement de mon activité pour la communication, la comptabilité et le marketing. J’allais chercher la ressource que je n’avais pas. Pour ce faire, je suivais des formations à la Chambre de Métiers et de l’Artisanat, en plus de ce que j’apprenais à l’école. J’ai réussi à me payer dès la première année. Mon projet a fonctionné car je me donnais à 1000 % ! Des erreurs formatrices Je n’avais pas conscience à l’époque que la vente représentait un vrai levier de rentabilité d’un institut ou d’un spa. L’occupation à outrance de la cabine n’est pas un gage de rentabilité. C’est une chose dont je me rends compte aujourd’hui : les hôteliers ont une vision hôtelière, leur objectif est de remplir les chambres. C’est une notion qu’on ne peut pas retranscrire telle quelle au spa. Il s’est écoulé près d’un an avant que je prenne des acomptes lors de la réservation et que j’augmente mes tarifs. Avant, je n’osais pas… Vers la fin de cette expérience qui a duré cinq ans, j’avais jusqu’à trois praticiennes free lances avec moi. En 2019, j’ai dû suspendre mon activité en plein essor pour des raisons familiales. J’étais très déçue de ne pas pouvoir poursuivre cet objectif et je ne me voyais pas travailler pour un institut de beauté classique. Je me suis donc orientée vers le spa. L’occupation à outrance de la cabine n’est pas un gage de rentabilité Royal Hainaut Spa & Resort Hôtel LE SPA AKASHA J’observais la rénovation de l’Hôtel Lutetia et sa réouverture depuis quelques mois. À l’époque, le spa avait été inauguré et la directrice, Nadia Seri, voulait en faire un lieu de bien-être holistique. Cela reflétait tout à fait ma vision de l’univers du bien-être. J’ai donc postulé et été embauchée en tant que réceptionniste. Je ne voulais pas retourner en cabine car j’accusais encore le coup de mon projet inachevé avec Karmachéri. J’avais certes mon expertise en massage ainsi qu’en gestion d’entreprise, mais je m’interrogeais sur la légitimité de mon rôle, car j’étais novice dans le secteur de l’hôtellerie de luxe… Le spa faisait 700 m² avec six cabines de soins et autant de praticiennes, un espace fitness et la fameuse piscine du Lutetia. Nous étions trois réceptionnistes. Le spa travaillait avec les marques Carita, CellCosmet et Aromatherapy Associates. Je me suis découvert une nouvelle passion, celle de l’hospitality. J’ai appris et appliqué les standards LQA (Leading Quality Assurance). En 2019, nous avons obtenu la note de 90,5 % et nous nous sommes hissés parmi les 10 spa parisiens répertoriés par Forbes. La même année, l’Hôtel Lutetia a rejoint le cercle fermé des Palaces. Le rôle de coordinatrice des membres spa et club Dès mon arrivée, j’avais expliqué à la directrice que je voulais évoluer. Elle a vu en moi ce côté relationnel avec les clients et l’équipe. Très rapidement, on m’a confié la tâche de coordinatrice des membres. Le club rassemblait près de 200 membres dont il fallait prendre soin. La cotisation annuelle d’un membre s’élevait à plusieurs milliers d’euros afin de pouvoir profiter d’un accès permanent au spa, aux cours collectifs et à l’hôtel. Ma mission consistait à développer le chiffre d’affaires des membres. Mon rôle au sein du Spa Akasha était comparable à celui de Guest Relation de l’hôtel. Je devais connaître tous les besoins et les préférences de mes membres afin de leur offrir un service au-delà de leurs attentes. C’était un travail dans la durée qui impliquait de gagner la confiance des clients, de se rendre disponible et à l’écoute de leurs envies. Ensuite, venait l’élaboration d’un fichier CRM complet et détaillé, afin que chaque collaborateur puisse utiliser ces informations comme outils commerciaux. J’étais un système RSE vivant : collecter, analyser, organiser et partager. Je transformais mes relations sociales et amicales avec les membres en data utiles et concurrentielles. Ainsi, nous pouvions offrir des services hyper personnalisés comme des cures amincissantes, des coachings sportifs ou des formules bien-être sur-mesure. Malgré mes nombreuses sollicitations, la direction de l’établissement n’a pas accompagné mon souhait d’évolution. J’ai donc décidé de quitter mon poste. Je transformais mes relations sociales en data utiles LE SPA DU J.K. PLACE J’ai eu l’occasion de rencontrer Riccardo Ortogni, le directeur du J.K. Place, et j’ai eu l’opportunité, à l’été 2021, d’intégrer le spa du J.K. Place à Paris en tant que spa manager. Il s’agit d’un boutique hôtel italo-américain 5 étoiles, membre des « Leading Hotels of the Wolrd ». Le spa faisait 400 m² avec une piscine, un sauna, un hammam, deux cabines de soin et une salle de fitness. J’y ai appris une tout autre hôtellerie, celle de l’ultra-luxe et de sa clientèle sélective. Par exemple, lorsqu’un client arrivait, la notion de check-in était effacée. Il n’y avait pas de desk pour l’accueil, on lui servait immédiatement le café et nous le prenions en charge. Il n’y avait plus de notion d’achat ou de surfacturation des petits extras comme le minibar, le late check-out, ou des boissons non alcoolisées au sein de l’hôtel. Le client venait comme chez un ami à l’hôtel. Il allait soit au spa soit au restaurant. Cette philosophie du service a été très formatrice pour moi. C’était une autre vision du luxe. C’était un lieu très différent de ce que j’avais pu connaître auparavant. Spa manager dans l’utra-luxe Post-pandémie, mon rôle était d’intégrer une nouvelle marque, Dr Barbara Sturm, recruter une nouvelle équipe et développer la relation hôtel-marque-spa. Royal Hainaut Spa & Resort Hôtel Associer la marque du spa à l’image de l’hôtel J’aime la métaphore qui considère tout spa comme l’officiant d’un mariage, celui entre l’hôtel et la marque cosmétique. Au J.K., j’avais donc l’hôtel et sa culture du luxe ultra-privée, confidentielle et Dr Barbara Sturm, une marque skincare, super trendy. Mon travail consistait donc à veiller à la compatibilité de l’union entre le J.K. et Sturm et à segmenter à la fois notre clientèle et notre offre. J’ai donc établi que nous proposerions une offre bien-être très technique de massages et une offre d’expertise beauté « facialiste », pour satisfaire la clientèle résidente et celle extérieure. Positionner les bons collaborateurs aux bons postes Le recrutement de l’équipe a été très difficile car post-confinement, il y avait une pénurie de spa praticiennes… À mon arrivée, à la réouverture en juin, j’ai donc dû reprendre un peu la cabine et j’ai fait appel à l’expertise de la société Relax Massage, qui propose des masseurs talentueux et pour qui les standards LQA n’ont aucun secret. La vente en spa C’est à ce moment-là que j’ai pris conscience de la nouvelle dynamique de l’industrie de la beauté. Dr Barbara Sturm est avant tout une marque retail. J’ai donc beaucoup travaillé avec Nadia Costa, la responsable commerciale spas et grands magasins de la marque. Nous devions repenser l’expérience de nos clients. Une nuance qui a toute son importance car dans le retail, nous parlons de consommateurs, tandis que dans le spa ce sont des clients. Par définition, le consommateur retail est dans une démarche active, un acte de consommation et donc d’achat. Le client spa, quant à lui, est plutôt inscrit dans un rôle passif, immobile. Il attend son soin et reçoit son massage. C’est à partir de ce constat qu’il faut repenser toute l’expérience du client au sein du spa. Le réengager dans sa relation avec l’établissement, personnaliser son expérience par l’expertise des praticiennes et fluidifier son parcours jusqu’à l’achat de son produit. LA CLÉ DU SUCCÈS D’UN SPA La clé du succès d’un spa dépend de la capacité de l’équipe managériale à réunir et fédérer ses équipes ainsi que de donner un sens au travail qui doit être accompli. C’est un rôle trop souvent uniquement attribué aux spa managers, alors que tous les acteurs du spa devraient être impliqués dans cette mission. Des habitudes beauté qui ont évolué La vente connaît aujourd’hui un essor considérable dans le spa, mais manque encore d’une véritable stratégie d’application de la part des opérateurs du spa. Suite à la pandémie, aux différents confinements et au port du masque, nous nous sommes aperçus que le soin de la peau est devenu plus qu’une tendance. Ainsi, quand une cliente venait faire son soin du visage, elle bénéficiait systématiquement d’une consultation personnalisée et repartait avec une ordonnance beauté. C’était du conseil pur, nous réorganisions la salle de bains et les habitudes des clientes. J’ai vu un tournant dans le spa. D’acteurs, de cet univers, nous sommes devenus des experts, comme les instituts. Les spas ne sont plus uniquement un lieu de bien-être, nous entrons désormais chez nos clientes et réalisons 30 % de ventes. Je ne passais plus qu’exclusivement en cabine, malheureusement mon but n’était pas de devenir une facialiste réputée, mais bel et bien de développer un spa et une équipe. J’ai donc quitté mon poste. Royal Hainaut Spa & Resort Hôtel Le Royal Hainaut Spa & Resort Hôtel Je suis arrivée à Valenciennes comme directrice du spa du Royal Hainaut en janvier 2022. J’ai fait la rencontre du directeur de l’Hôtel, Emmanuel Becquet, qui a passé sa carrière au sein du groupe Barrière, j’avais envie d’apprendre à ses côtés. J’ai immédiatement considéré cette opportunité comme un challenge personnel et professionnel : je souhaitais accompagner la redynamisation de ce spa tout en prouvant ma capacité d’adaptation et mes compétences de meneuse d’équipe. J’ai établi les P & P, analysé la masse salariale et les P & L, défini les KPI, les objectifs et structuré le parcours client. Le spa avait été laissé en berne et mon rôle était aujourd’hui de le faire rayonner à nouveau. Ce spa de 1200 m² comprend 10 cabines de soin, une immense piscine, un espace fitness, un sauna et un hammam. Nous travaillons avec la marque Omnisens. J’encadre dix praticiennes dont trois apprenties, deux réceptionnistes et je suis en train de recruter une assistante spa manager et un équipier spa. Les relations avec l’hôtel Les relations avec l’hôtel sont très bonnes. Nous avons tous les matins une réunion entre chefs de service. Nous partageons beaucoup, c’est important. Nous nous appliquons de façon à ce que le client ait la même qualité d’expérience entre les différents services, pour que ce soit fluide et cohérent. Par exemple, tous les services ont accès à notre logiciel où nous intégrons des informations très complètes sur les clients. Développer l’équipe Lorsque j’ai fait la rencontre de mes équipes, j’ai constaté qu’elles étaient à bout physiquement et émotionnellement. Le turn-over des trois précédents directeurs en deux ans et demi, la pandémie et les erreurs quotidiennes d’organisation du spa, les avaient… abattues. Comme je le répète à mes équipes, je travaille pour elles ! Ce sont elles qui sont le spa et mon rôle est de faire émerger leurs qualités personnelles et développer leurs compétences professionnelles. Voilà ce dans quoi je m’épanouis. Mon bureau est derrière la réception, j’ai toujours un œil ou une oreille sur ce qui se passe… Je leur répète quotidiennement que je suis à leur disposition et qu’elles doivent se sentir libre et en confiance de venir me partager quoique ce soit. Le développement du spa passe par la connaissance individuelle de ses équipes ! Je mise sur les compétences de chacune. Ainsi, je les responsabilise sur des tâches précises en fonction de leurs atouts et leur souhait d’évolution. Elles prennent totalement part à la redynamisation du spa. Ensemble, nous avons recréé la carte des soins. Je les réengage et enrichi le champ de leurs actions, car je crois en elles, et que je n’oublie pas que ce sont elles qui fondent le spa. Développer la vente La satisfaction est purement subjective, elle est la perception individuelle d’un client à juger de la qualité de nos services. Un client satisfait, c’est un client qui achète ! Si son dîner est agréable, il l’accompagne d’un verre de vin. Si son soin du visage lui plaît, il s’offre un sérum. Pour moi, en plus d’être un levier de rentabilité, la vente est un indicateur de satisfaction. La vente n’était pas du tout développée. Les praticiennes s’étaient vu inculquer qu’elles devaient d’abord être de bonnes praticiennes avant d’être de bonnes vendeuses. Cela les a donc très troublées, il a fallu retravailler là-dessus dès mon arrivée. J’ai dû rebooster leur confiance en elles-mêmes, adapter leur discours et leur faire prendre conscience de leur communication non-verbale. Nous avons un immense tableau blanc au back office du spa sur lequel il est inscrit : « NE PAS VENDRE. Donner un conseil/une astuce, susciter une émotion ». On inscrit chaque vente, chaque montant. Elles voient et comprennent l’évolution du CA. Aucune politique de valorisation n’était mise en place auparavant. Je travaille donc actuellement sur une stratégie d’incentive et de challenges. À ce jour, sans challenge et sans prime (je vais les mettre en place prochainement), nous avons triplé notre chiffre d’affaires vente ! L’AVENIR, C’EST NOUS ! Nous construisons les carrières des futurs spa managers. De nous, dépend l’avenir. Il faut entendre les souhaits d’évolution et les accompagner, armer les équipes avec une connaissance complète du monde du spa. Le retail doit être encore plus développé. Je rêve que les codes de l’expérience retail soient associés aux standards de l’hôtellerie de luxe. Je pense que c’est ça le spa de demain. Il faut réussir à redonner un sens au lieu de rencontre qu’est le spa.